Raid solo en Laponie
Vendredi 24 mars : Poyrisjärvi - (tente) (Carte)
Afin de faire sécher ma lessive, j'ai volontairement fait grimper la température dans le refuge. J'ai donc eu trop chaud pour dormir correctement ; le matelas dégradé et des douleurs lancinantes dans mon tibia droit n'ont rien arrangé.
Ce matin, j'émerge avec une espèce de gueule de bois et un moral assez bas. J'envisage de rester ici à me reposer.
D'un côté, ce serait faire preuve de raison mais de l'autre, je le vois comme une faiblesse. Quelle partie de moi va l'emporter ?
Sur la carte, cette étape se présente comme monotone, avec de longues lignes droites, sans beaucoup de dénivelé : je la crains. Et puis l'idée d'aller jusqu'au village trottine à nouveau dans ma tête... Mais si je reste, je risque de prendre du retard par rapport à mes prévisions et d'entamer la marge de sécurité prévue.
Je me perds en conjectures et le seul moyen d'en sortir est de revenir aux questions fondamentales : "Pourquoi es-tu venu ici en solitaire ? Qu'attends-tu de ce raid ?"
Posé comme cela, c'est finalement simple. Je me prépare et chausse les skis pour aller tester mes capacités physiques et morales dans ces paysages grandioses et désertiques. Je vais manger des kilomètres à skis et profiter du soleil qui soudain n'est plus le seul à illuminer cette journée.
C'est très surprenant car je suis de nouveau gonflé à bloc et prends énormément de plaisir dès le départ de l'étape malgré un cap à tenir durant au moins dix kilomètres.
Les points de repère sont très lointains et en me retournant, je constate que ma trajectoire n'est pas franchement rectiligne.
Cette fois, même si ce n'est pas parfait, c'est nettement mieux n'est-ce pas ?
Finalement, c'est tout simple : on trouve une petite motivation et les kilomètres défilent sans ennui.
A ma mesure, j'ai appliqué les principes mis en œuvre par Sylvain Tesson lors de ses grandes traversées : "les subdiviser en une série d'étapes intermédiaires, parsemées d'objectifs provisoires."
Ce pin en fût un. Plus grand et donc plus facile à viser au milieu des bouleaux nains, je ne manque pas de le saluer et de le remercier au passage.
Je n'en reviens pas : ces dix kilomètres parcourus en trois heures trente (ce qui est le tarif normal) m'ont parus bien plus courts aussi bien en temps qu'en distance.
Désormais, je sais que l'état d'esprit dans lequel j'aborde une étape peut compter d'avantage que ce que la carte m'en donne comme image.
Pourtant, ces fameuses cartes sont la base de mon itinéraire qui ne va jamais directement du point Départ au point Arrivée. Je privilégie parfois de petits détours pour m'éviter du dénivelé ou inversement, je choisis de monter en altitude pour progresser dans une neige plus portante. Les plus hauts sommets sont aussi l'occasion de contempler l'ensemble du territoire que je traverse ; ils sont sélectionnés dès que le ciel est dégagé.
Aujourd'hui, j'avais repéré la symbolique d'une clôture formant un cercle d'environ un kilomètre de diamètre au pied d'un sommet culminant à six cents mètres.
Peu après avoir obliqué ma trajectoire en direction du sommet, je distingue des formes faisant penser à des habitations. J'imagine qu'il s'agit d'un camp Lapon et me demande s'il est habité en hiver ?
Je ne vois ni ne sens de fumée et les seules traces que je distingue dans la neige appartiennent à des animaux.
Je ne suis pas encore assez proche pour savoir s'il y a un passage dans la clôture ou si je vais devoir la contourner.
Même si je ne distingue aucun signe de vie, il n'est pas question de passer par-dessus comme je le fais hors habitations.
Il y avait finalement plusieurs passages et je me suis dirigé vers la maison la plus imposante. La remorque chargée et garée devant, ainsi que les nombreuses traces d'aller et venu démontrent une occupation très récente. Je passe au plus près espérant que quelqu'un m'aperçoit par la fenêtre et soit suffisamment curieux pour m'interpeller.
Je suis un intrus dans ces territoires et ne connaissant pas suffisamment les us et coutumes des Lapons, je n'ose pas aller frapper à la porte.
Rien n'a bougé et à regret j'ai poursuivi mon chemin.
Mais je suis heureux d'avoir distingué cet endroit sur la carte et d'y être passé. Des hommes y séjournent, certainement dans une grande simplicité et cela m'émeut.
J'ai pris mon repas un bon kilomètre après puis j'ai attaqué l'ascension du Valkamapää. La pente douce et la bonne neige l'ont rendue facile.
Un coup d'œil derrière me permet de mesurer une nouvelle fois l'isolement de ce hameau.
Au sommet, je fais une courte pause pour contempler ces étendues désertiques puis je bascule sur l'autre versant pour rejoindre la rivière Suukisjoki. La descente se révèle délicate avec une alternance de plaques glacées et de petites congères.
Dans la vallée, je trouve une trace de motoneige que je ne me prive pas d'emprunter puisqu'elle va dans ma direction.
Vers dix-sept heures, je considère qu'il est temps d'installer mon campement. J'ai parcouru vingt-cinq kilomètres et il me faudrait en parcourir encore huit pour rejoindre le refuge de Korteoja ou onze pour celui de Lenkihaka.
Orgueil ? Prétention ? Ou je l'espère réalité ? Toujours est-il qu'après cette étape j'éprouve le sentiment d'avoir franchi un nouveau pas dans l'appropriation de cet environnement. Je m'y sens bien et planter ma tente ici, au milieu de nulle part me paraît naturel.
Alors que je m'éloigne de la tente pour faire quelques photos, une motoneige point à l'horizon.
Arrivé à mon niveau, le conducteur stoppe son engin et nous engageons la conversation. C'est un éleveur qui en fonction de son travail avec les rennes, habite soit dans le village où je suis passé ce midi, soit dans un des quelques camps en montagne, soit encore dans un autre petit village à une quarantaine de kilomètres. A plusieurs reprises, il s'excuse pour son faible vocabulaire en anglais. J'ai beau lui faire remarquer que le mien n'est pas mieux, il semble en éprouver beaucoup de gêne.
Moi aussi je suis gêné, j'aimerais lui poser beaucoup de questions (sur sa vie, la communauté des Lapons, la relation qu'ils entretiennent avec les non autochtones, ce qu'il pense des gars comme moi qui parcourent leurs territoires pour leur loisir), j'aimerais lui dire que j'aurais un grand plaisir et que ce serait un honneur que de partager plusieurs journées avec eux. Mais mon anglais est également trop limité pour aborder ces questions de façon progressive et sans risque de mal entendu. Alors après avoir épuisé les banalités que l'on pouvait se dire, il me quitte pour rejoindre les siens non sans s'excuser une nouvelle fois pour son anglais rudimentaire.
Je m'installe alors définitivement dans la tente ; il y fait -9°. Pour me réchauffer et surtout pour célébrer cette journée qui me laissera un merveilleux souvenir, je m'offre un petit apéro. Après le repas, le sommeil me gagnera rapidement et je n'aurai une nouvelle fois pas l'opportunité de contempler d'éventuelles aurores boréales.
Longueur étape
25,2
Durée de l'étape
9h50
Durée hors pauses
7h25
Dénivelé positif
+195 Altitude de départ
420
Altitude maxi
600
Altitude d'arrivée
450
Dénivelé négatif
-165
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Dernière modification le 31/12/2017 |